ICI ET SEULEMENT ICI/ CHRISTELLE DABOS

GALLIMARD JEUNESSE

2023

9782075187893

À PARTIR DE 15 ANS

: Il faudra se montrer attentif, ce nouveau roman noir et son ton plus incisif n'aura rien à voir avec le très apprécié " Passe Miroir" magique et lumineux de l'auteure.

"Bienvenue" Ici.

Quelques pages tournées et nous serons poussés dans la mêlée, sans trop bien comprendre dès le départ où nous sommes, comme un nouveau élève perdu et ignoré dans un nouvel établissement.

Justement, nous comprendrons petit à petit que nous sommes parachutés dans un collège, avec des premières années, les secondes et tutti.

La cadence des trimestres fera aussi partie de l'aventure et cela pourrait être exaltant si du départ ce n'était pas si noir, comme la désillusion d'un élève qui chute droit dans ses chaussettes à la rentrée scolaire.

Vous êtes scolarisés ICI.

Des personnages prendront la parole à tour de rôle sans qu'on établisse de liens directs. C'est un roman chorale.

Le début, avec ces multiples prises de parole, invitera peut-être un peu les lecteurs ados à dresser des fiches d'identité.

Si vous voulez bien prendre place dans l'ascenseur émotionnel...

L'auteure Christelle Dabos (La saga du "Passe miroir") va imaginer une société de pouvoir scolaire pyramidale, menée par les pires élèves (on le comprendra, parce que cela se jouera entre les violents et les plus fragiles. Les autres, plus en lumière, n'auront pas besoin de ça et se montreront ICI presque sûr d'eux en s'assurant de résultats satisfaisants pour leur avenir proche, comme Sofie que Guy va croiser). Nous aurons l'impression que ceci se fera à l'insu du professorat et ce n'est pas toujours le cas, nous le découvrirons avec une prise de parole accordée à une professeure remplaçante (qui aura été scolarisée ICI et qui aura vécu déja tout le rituel). Elle tiendra un discours distant et banalisé, d'une manière de dire que "l'on en meure pas et que c'est juste un mauvais moment inévitable à passer".

C'est un univers (avec la distance de l'observation) presque risible d'un humour noir, appuyé sur la paresse, la brutalité pour imposer une protection rémunérée, le bizutage, le trafic de cigarettes comme en prison, c'est la revanche des cancres les plus forts qui s'est érigée d'elle-même et s'est matérialisée par l'établissement lui-même comme une tour, plus on monte un étage, plus on passe une année scolaire et plus les choses s'inversent, les premières années brimées de ce système parallèle s'octroieront le privilège de chahuter à leur tour car ils l'ont mérité. Réussir n'aura plus rien à voir, il faudra survivre.

Sauf que certains finiront par l'entrevoir la petite porte de sortie de secours par la réussite des études.

Tout en Bas. C'est Iris, elle est en 6ème.

Elle devient la grande. Sa soeur déja élève dans l'établissement le lui fera comprendre: Ici, elles ne se connaitront plus. Il y aura dans son sillage son frère Émile.

" Pourvu qu'on soit dans la même classe". La suite sera dramatique pour l'un des deux.

Le pouilleux, vous connaissez?

En bas, il y a Madeleine, elle est en 5ème.

Elle est en pleine puberté, sa meilleure copine Louise nous fera l'honneur de nous illustrer leur passage avec moultes métaphores et dessins explicites sur son carnet. Elles ont grandi.

Alors le maquillage, les débuts de blagues salaces pour Louise...

Louise est plus aventureuse que Madeleine mais...

Mais Madeleine a changé. Elle a basculé dans un changement discrèt, invisible pour Louise au début et son drôle de secret va finir par circuler entre les ados à problèmes.

Comment cacher à Louise cet événement important déroulé l'été dernier? Madeleine a changé et sa métamorphose la rendra sordidement populaire (nous nous attendrons aux fameuses règles féminines mais c'est bien pire que cela).

Madeleine est-elle l'élue, l'oracle des toilettes du deuxième étage qui viendra sauver les opprimés boutonneux, régler le mauvais sort des "mals dans leur peau", tordre le mauvais sort aux problèmes de l'année d'un troc de sorcière? Ou juste une profiteuse mystique qui lancera un nouveau secteur sur le marché juteux du racket?

Miracles à vendre (vous comprendrez en lisant).

On monte?

Guy est en 4ème.

Son langage châtié et familier semblera parler pour lui.

Mais tout est-il perdu, tracé, quand aura vendu son âme au système d'Ici et joué les règles brutales de la bande du "Prince" du dernier étage?

C'est un personnage qui nous introduira à un envers de l'établissement, à un cran supérieur du parcours: les bandes et le racket. L'ambiance est un peu rude avec cet élève au dessus auquel il faudra obéir au doigt et à l'oeil d'une façon presque hypnotique, "Le Prince".

C'est cru et Guy est une brute repeindra l'ambiance du départ d'une couleur plus noire, il est un peu désabusé, comme Pierre (voir après pour Pierre, sauf que Guy est un du "Haut").

Et puis il y a enfin Pierre. Un 5ème. C'est un invisible. Il traine son boulet depuis la 6ème et ne peut s'empêcher de se dire d'avance que la nouvelle année ne promettra rien de nouveau.

C'est son lot et nous serons un peu surpris de lire que selon lui, il le mérite finalement.

Et puis un jour Pierre va s'accuser d'un incident lors d'une rixe de collège et sa cote va remonter.

Qu'est-ce que cela va t-il changer en lui au dedans? Pierre, élève du "Bas", est-il une âme perdue? Il pensera rêver ce qui lui arrive au quotidien.

L'auteure laissera planer une dimension fantastique voire maléfique, avec des phénomènes étranges qui vont commencer à se produire en ciblant des élèves et avec un peu d'humour absurde aussi injecté par des réunions clandestines curieuses presque drôles dont on ignorera l'identité des membres et qui traquera quelque chose à découvrir sur les temps de classe.

C'est un peu fou.

Christelle Dabos entretiendra un suspens dont on voudra savoir si cette terrible année ICI est une relecture fantasmée d'une scolarité mal vécue ou si il s'y passe des choses vraiment malsaines qui dépasse la simple méchanceté des élèves.

C'est intrigant et les âmes sensibles des classes de 6ème qui auront dévoré la série du Passe Miroir" devront attendre avant de s'attaquer à celui-ci.