MONSTRES/ STEPHANE SERVANT ET NICOLAS ZOULIAMIS

THIERRY MAGNIER

2023

9791035205898

A PARTIR DE 9 ANS

: Un roman jeunesse qui se lit vite mais prendra un peu son temps pour faire apprécier son message grâce à ses images et son rebondissement.

L'aventure jouera sur les apparences mais aussi les faux-semblants, plongeant des personnages dans l'ombre et réservant sa drôle de surprise.

C'est un enfant qui nous racontera ce qu'aura imaginé l'auteur Stéphane Servant, un monde sens dessus dessous mais dont la morale restera la même et c'est la bonne ironie.

Ce petit garçon restera un temps de dos, comme beaucoup des autres personnages, l'illustrateur n'en montrant que quelques uns qui mettront un peu mal à l'aise pour leur difformité.

Arrive dans la ville un cirque et le petit nous confie qu'il ne s'y passe pas grand chose à cet endroit, fin fond de nulle part de campagne où l'on ne peut s'arrêter que par accident. C'est l'effervescence, le petit garçon a entendu parler des cirques mais c'est la première fois.

L'auteur abordera les "monstres de cirque" d'une façon détournée, tandis que le texte révélera un numéro spécial avec un personnage en cage un peu sauvage, clou des numéros, l'illustrateur lui nous laissera voir les artistes, dont des soeurs siamoises trapézistes, sans que leur particularité ne soit mentionnée alors que Servant insistera sur la cruauté du "monsieur loyal" annonçant un affreux et hideux sous le drap sur sa cage, prévenant le public pour ménager sa sensibilité.

Juste avant que l'on voit l'intérieur et que tombe ce drap, nous apercevrons enfin le public d'adultes et d'enfants du public, le malaise persistera et nous serons estomaqués car ils seront tous réellement très laids.

Et nous comprendrons enfin que la situation sera juste inversée comme un angle de point de vue, avec un petit garçon dans la cage tout à fait ordinaire mais jugé par le reste de ce monde comme un "monstre". Un seul lui tendra la main et fera taire sa peur, notre narrateur, qui connaitra la cruauté et le harcèlement des autres enfants au quotidien, car pas assez laid à leur goût. Il sera donc presque adorable avec ses moustaches de chat au contraire et un pont de solidarité s'étendra naturellement entre sa situation et celle du "monstre" sous la cage. Ce pauvre petit garçon ne saura pas parler et au lieu de grogner, il chantera, tout le temps, et ceci sera perçu comme une expression animale hostile par le public qui n'entendra pas sa plainte.

De façon sensible et originale, notre narrateur saisira le propos des chansons et l'histoire du petit garçon de la cage. Oui, c'est original, de nous prendre à revers et de nous placer dès le départ aux côté de ceux qui ont vraiment l'apparence qui pourraient nous effrayer, ne laissant à notre jugement que leur comportement. Les parents du narrateur auront eux aussi été béni de la laideur mais se comporteront comme n'importe quels parents aimants, ainsi Servant ne nous laissera pas faire un pas en arrière avant de les connaitre. Moches ou beaux, les garçons harceleurs et leurs parents resteront laids par leurs actes et leurs mentalités odieuses sans réserves. Nous oublierons les faces d'horreur de ce village pour ne nous intéresser qu'aux deux garçons mis à part de cette société et qui vont se trouver un ami de fortune pour une fois.

Autre curiosité, les deux garçons portent le même prénom et se ressemblent un peu.

Le choix du noir et blanc pour les images sera évidemment bien choisis, nous ramenant à l'incroyable et inoubliable film de Stephen Frears, "Freaks", qui lui aussi proposait de revoir la définition de la monstruosité et celle même de l'humanité. La vraie laideur intérieure et l'action répétée monstrueuse pouvant pousser les innocents à "s'enlaidir" et se défendre ou se venger. Il y aura dans la sensibilité de ce roman à hauteur de jeunes lecteurs quelque chose aussi assez proche des romans de "L'enfant sauvage" de Marie-Hélève Delval et Mordicai Gernstein, inspirés du fait divers de l'enfant de l'Aveyron trouvé par des chasseurs qui s'avérait sourd et muet et non éduqué par des animaux sauvages.

C'est un roman intéressant et déroutant qui ne devrait pas laisser insensible. Il remet à plat le sens même de la monstruosité, comme ce qui nous fait peur, peut-être à tort, et nous fait mal, souvent à raison.